Nombreux sont ceux qui ont qualifié Paul Hindemith de « Bach du vingtième siècle ». Le simple cas des Kammermusiken composés dans l’esprit des Brandebourgeois et la reprise thématique de la Fugue en do mineur du Clavier bien tempéré dans le Finale de la Kammermusik n°1 – qu’Hindemith transforme en Ragtime par l’ajout astucieux d’un rythme pointé sur la première paire de croches du thème – révèle la capacité synthétique virtuose du compositeur. Dès lors, l’affirmation du spécialiste Stephen Hinton « Hindemith n’a pas seulement été influencé par Bach, il est devenu Bach ! » ne semble guère abusive. Son « Back to Bach », Hindemith le concrétise réellement dès les années vingt lorsque son intérêt pour la musique ancienne n’a de cesse de grandir. Il découvre la viole d’amour – sa Petite Sonate op. 25 n°2 en est un exemple – et promulgue des cours sur les pratiques interprétatives historiques lors de son professorat à Yale en 1940. Paul Hindemith y dirige le Collegium Musicum – en collaboration avec Emanuel Winternitz, curateur de la collection d’instruments de musique du Metropolitan Museum of Art – qui devient un centre réputé pour la culture de la pratique historique des instruments. En outre, la préparation de concerts avec ses étudiants lui fournit non seulement un tremplin pour la réalisation de ses propres œuvres, mais illustre également ses cours d’histoire de la théorie musicale.
Chez Hindemith, sa tendance néobaroque et les multiples réponses créatives à l’œuvre de Bach se distinguent notamment par des adaptations de forme contrapuntique telles la fugue et la passacaille, un travail motivique séquentiel et le renoncement à la dialectique d’un travail thématique, mais aussi une harmonie absolue qui résulte de la conduite des voix traitées de façon indépendante. Dans la Sonate op. 25 n°3, Hindemith rejoint par la répartition en cinq parties la conception-cadre des Six Suites BWV 1007-1012. Les traditionnelles Allemande, courante, Sarabande, Gigue agrémentées d’un Prélude et des Menuets sont remplacées par des propositions expressives contrastantes. Ainsi, le « Lebhaft, sehr markiert » (Vif, très marqué) initial propose d’emblée l’allitération du sentiment tonal par la confrontation entre Do majeur et Do dièse majeur dont l’issue tonale conflictuelle se concrétise lors du Finale rythmique « Mässig schnell ». Ici, Hindemith atteint également la capacité de Bach dans la mise en musique d’une expression paradoxale de stabilité tendue. Tandis que le maître allemand excelle dans la formulation d’une stabilité de surface couplée à une tension perceptible sous-jacente – entre autres accélérée par l’organisation des hauteurs à l’intérieur d’un flux rythmique régulier – Hindemith propose quant à lui la sensation d’une œuvre sous tension perpétuelle et dont l’agitation et l’inquiétude se dissipent au gré de l’écoute qui construit le cadre formel équilibrant : « Le concept sonate doit être compris au sens que lui donnait les vieux Maîtres : comme événement sonore pourvu d’une structure. On voit donc que là également, la forme ne peut être séparée du “contenu” ».
Orane Dourde