27 – 28 – 29 mai, exposition

14 h – 18 h |  Galerie Lange + Pult,  Auvernier

Bartosz Sikorski: Zwoelftonreihe für Lutosławski

Installations multimédia

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Entretien avec Bartosz Sikorski – Vienne, le 22 novembre 2014

Couleur, musique, forme
Bartosz Sikorski
Interviewé par Christina Natlacen

 

Christina Natlacen: C’est en 2008 que j’ai découvert pour la première fois tes photographies exposées à la galerie «Raum und Licht» à Vienne et je t’ai considéré comme un des premiers artistes utilisant la technique LED dans son travail.

Bartosz Sikorski: Oui, j’ai commencé dans une chambre noire à dessiner des traces de lumière au moyen d’une longue exposition photographique. En principe, cette technique existe depuis très longtemps; à la fin du 19e siècle, Etienne-Jules Marey l’a utilisée pour développer ses images en mouvement. Les «Light Paintings» que Pablo Picasso a réalisées en 1949 en collaboration avec le photographe Gjon Mili sont également très connues.

CN: Depuis quelques années, il existe même des graffitis lumineux.

BS: A la différence près que je travaille moi-même avec des petits formats.

CN: Ce qui singularise tes «LED Paintings», ce sont les couleurs éclatantes que tu utilises, ce qui différencie considérablement ton travail de la production du duo Picasso et Mili.

BS: Les couleurs de diodes électroluminescentes, plus communément LED sont définies par le spectre RGB, espace colorimétrique rouge, vert et bleu avec lesquels on peut mélanger toutes les autres couleurs. Moi-même, je les utilise parfois pures et parfois je les mélange durant le processus effectué en chambre noire. Après seulement, on découvre le résultat photographique. Avec ce système, chaque photographie est unique.

CN: Pour la série Weiss auf Schwarz, la différence avec tes premiers travaux LED consiste dans le fait que tu utilises un chablon et qu’ainsi la lumière est dirigée de manière prévisible.

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BS: Je travaille avec de petits chablons en papier dans lesquelles je découpe avec des ciseaux ou je déchire à la main des lignes verticales. De cette manière se forment des longues lignes dont les bords s’effrangent, et c’est ce qui m’importe. Les contours que l’on voit dans les agrandissements accentuent une fois de plus cet aspect «brut». Les chablons de papier fonctionnent comme des silhouettes noires, ainsi la lumière n’est visible que dans les espaces laissés libres.

CN: Ce qui est particulièrement frappant dans ces travaux, c’est le principe constant des verticales.

BS: Au début, j’ai découvert les lignes verticales plutôt par hasard, en expérimentant. C’est seulement par la suite que j’ai pris conscience de la relation à la musique, d’où je viens, et tout était clair: la musique est aussi linéaire. L’analogie que je vois se situe entre le ton qui est produit avec l’archet d’un instrument à cordes et une de mes lattes verticales. Concernant la comparaison entre les poils d’un pinceau et la mèche de l’archet qui ont des structures comparables, j’ai été sensibilisé par la recherche de Elisabeth von Samsonow. Jusque dans les moindres détails, je vois une similitude et ceci est particulièrement clair si l’on considère les crins de la mèche de l’archet et les bords effrangés de mes images.

CN: Ceci est un point passionnant: à savoir que pour toi, la visualisation d’un son reflète ces lignes verticales.

BS: Oui, mais justement pas comme la visualisation d’un son, mais davantage comme un travail au niveau artisanal en relation avec une pensée abstraite. Un son n’est pas rectiligne mais au contraire il a un mouvement ondulatoire. C’est exactement cette dynamique qui est importante pour moi dans le développement de mon travail.

CN: La série Weiss auf Schwarz n’est pas basée uniquement sur des agrandissements photographiques des tes peintures LED, mais en particulier sur des installations: les lattes déjà mentionnées. Ici, tu modifies les espaces colorés et les transformes en éléments autonomes; tu élimines les espaces noirs et tu modifies les surfaces colorées en lattes verticales tridimensionnelles.

BS: Exactement. Chaque latte individuelle émane de diverses séries et, dans mes expositions, mélangées les unes aux autres, elles forment un nouveau Display. Ainsi, pour illustrer un exemple, les quatre grandes lattes portant le titre Dominanten forment un tout. Le titre de cette œuvre à lui seul fait déjà référence à la musique classique dans laquelle les accords sont composés de quatre voix. L’accord de dominante, dissonant, doit être résolu. La longueur de chaque objet et de chaque trait de couleur correspond à des tonalités précises.

J’aimerais toutefois préciser que je procède de manière expérimentale et ludique pour réaliser mes compositions. Je ne souhaite pas composer un tout harmonique et clos mais plutôt, comme dans la musique d’avant-garde dont je me sers comme d’une boîte à outils, je privilégie une certaine rudesse. Ma devise serait; improvisation plutôt que précision mathématique.

CN: Une grande partie des lattes proviennent originellement d’installations vidéo dans lesquelles ces objets servent de surfaces de projection pour des animations. Dans ces «mappings» vidéos, la musique en tant que système joue un grand rôle. Pourrais-tu nous expliquer l’arrière-fond musical?

BS: Les animations vidéo m’offrent l’opportunité la plus simple pour réunir image et son. Mais le danger réside dans le fait que la musique pourrait être uniquement une illustration sonore ou alors, au contraire, l’image illustrerait la musique.

Il y a au total trois de ces «mappings» vidéos qui forment un tout, un trio. Le premier travail est dédié à la contrebasse et elle est composée de six lattes qui correspondent à des tons entiers. Dans les travaux suivants j’ai augmenté le nombre de lattes à douze puisque dans ce cas je travaille avec des demi-tons qui sont cette fois-ci joués sur mon pianino. Par analogie, j’utilise enfin 24 lattes pour ma troisième œuvre pour laisser dominer les quarts de tons. Ici, le violon entre en action. Le célèbre musicologue Julián Carrillo a construit des claviers dans les années 1940 qui pouvaient produire tous les intervalles de tons, des tons entiers aux seizièmes de tons.

CN:   Le titre de l’œuvre comportant les 12 lattes et le pianino contient une référence importante: Zwölftonreihe für Lutosławski. Quel rapport avec ce titre?

BS: Le compositeur polonais Witold Lutosławski est important pour moi car il a composé une musique d’avant-garde sur la base de principes mathématiques mais dont le résultat est très organique. On n’entend pas qu’il s’agit au fond de véritables phrases mathématiques ou des messages, mais au contraire, ses pièces sonnent comme des mélodies romantiques. Cette force expressive dans la construction me fascine. De plus, Lutosławski s’est servi de techniques aléatoires et a ainsi donné au hasard un rôle important dans ses créations. Dans mes travaux visuels, le hasard joue un rôle important dans la disposition de l’exposition. Les diverses dispositions deviennent pour moi un répertoire de possibilités qui me permet de m’exprimer intuitivement et artistiquement au niveau des émotions.

CN: Est-ce qu’une organisation horizontale des lattes est pensable? Une présentation horizontale suggérerait probablement davantage de linéarité et impliquerait de ce fait une lecture temporelle.

BS: Pour moi, ce qui est important, c’est que chaque élément de ce travail puisse fonctionner en tant qu’objet. Même s’il s’agit de peinture, je ne souhaite pas que ces œuvres soient exposées comme telles sur un mur. La fascination réside pour moi dans le fait de présenter les objets d’une façon brut, ainsi, ils peuvent être posés à même le sol ou appuyés contre un mur. Ces objets peuvent faire penser à du matériel de chantier ou aussi – faire référence au cosmos de la musique – à des touches et des cordes de clavier, comme elles existent en tant qu’éléments singuliers avant le montage.

CN: Je pense immédiatement à la peinture de Frantisek Kupka intitulée «Nocturne» qu’il a réalisée en 1910, la toute première œuvre abstraite qu’il a peinte. La dominance de formes verticales qui, dans la partie du bas sont encore en rapport avec une réalité, précisément, font référence au noir et blanc des touches d’un clavier. Que ce soit un hasard ou non – le noir et le blanc — ont donné le titre de ton travail.

BS: Ces travaux sont basés sur le principe de l’inversion – blanc sur noir, comme d’ailleurs le nom de la fonction correspondante sur le iPhone. Avec cela, chaque couleur, en peu de clics, peut être transformée et être complémentaire. Mais les inversions symbolisent aussi pour moi la nostalgie de la composition. Ici aussi, il y a depuis longtemps de pareils phénomènes. On peut penser aux fugues de Jean Sébastien Bach dans lesquelles certains motifs sont «mis sur la tête» et donc inversés.

Le principe de l’inversion je le comprends comme élémentaire pour les travaux dans lesquels photographie et peinture se rencontrent et sont tributaires l’un de l’autre. Je travaille depuis longtemps avec cette confrontation directe entre peinture et photographie, dans mes collages visuels ou mes objets. Ce sont les rapports, introduits par la différence des médiums qui m’intéressent. Ici s’affrontent aussi bien le support, toile sur bois, qui d’ailleurs provient de la technique ancienne de l’icône, que les dernières technologies en matière de photographie. Photographies qui peuvent être imprimées les unes sur les autres au moyen de l’imprimante laser.

CN: Est-ce que ce travail est en fait achevé?

BS: Les séries isolées oui, mais le thème en tant que tel continue de me préoccuper. Le plus grand défi consisterait pour moi d’exprimer quelque chose de musical en image. Dans le fond, ceci ne réussit jamais. A chaque fois, chaque résultat ne peut être que provisoire et engendre de nouvelles questions que je saisis pour renouveler mon travail.

 

 Traduction: Janine Perret-Sgualdo